15

Il était revenu parce qu’il avait besoin de savoir. Il avait besoin de savoir si, oui ou non, tout était perdu, y compris le Nouvel Ordre Jedi qu’il était sur le point de raviver.

Vergere releva la tête vers Luke depuis le tabouret qui lui servait de perchoir.

— Vous êtes venu me poser d’autres questions ? demanda-t-elle. Je dois vous signaler que je viens de passer la journée à répondre aux questions du Service de Renseignement de la Flotte et que j’en ai un peu assez.

— Je vous propose un marché, dit Luke. Je vous pose une question et vous m’en posez une à votre tour.

Les favoris de Vergere frémirent.

— Vous n’avez toujours pas répondu à ma dernière question. Si vous ne parvenez pas à détecter les Yuuzhan Vong dans la Force, est-ce la faute des Yuuzhan Vong ou celle de votre perception ?

Luke s’installa sur la chaise faisant face à Vergere.

— Vous avez oublié une troisième possibilité. Cela pourrait être un problème de la Force.

La crête plumée de Vergere se souleva sous l’effet de la surprise.

— C’est votre réponse ?

— Non. Je n’ai pas la réponse, admit Luke. (Il regarda Vergere droit dans les yeux.) Et vous ?

D’une main, elle lissa sa crête.

— Ce serait votre première question ?

— Exact.

Vergere marqua une très longue pause, comme pour préparer sa réponse.

— Avant de pouvoir répondre, j’ai besoin de savoir si Jacen vous a raconté ce qui m’est arrivé sur Zonama Sekot.

— Oui, il l’a fait, répondit Luke.

— Alors, vous savez que j’ai choisi d’accompagner les Yuuzhan Vong afin de découvrir leur véritable nature.

— Vous avez passé cinquante ans à leurs côtés. Donc, si quelqu’un est susceptible de savoir si les Yuuzhan Vong sont extérieurs à la Force, c’est bien vous.

— Oui.

Il y eut un long silence. Luke attendait que Vergere continue.

— Vous avez votre réponse, reprit-elle.

— La réponse à ma question est « oui » ? dit Luke en souriant.

— Correct.

— Il faudra donc que je pose une autre question pour obtenir une autre information ?

— Correct aussi.

— Ce n’est pas un peu puéril, tout ça ?

Les plumes de Vergere se hérissèrent et s’aplatirent.

— C’est vous qui avez inventé ce jeu. Pas moi. Et c’est mon tour, maintenant.

— Allez-y, dit-il en haussant les épaules.

Elle le fixa de ses yeux en amande.

— Si les Yuuzhan Vong sont extérieurs à la Force, qu’est-ce que cela implique pour nous, les Jedi, et nos croyances ?

Luke hésita. Ce n’était pas une simple question. C’était la question de toutes les questions, le sujet avec lequel il se démenait depuis que l’invasion avait commencé. Lorsqu’il prit enfin la parole, il le fit avec une extrême prudence.

— Cela implique que notre connaissance de la Force est erronée ou incomplète. Ou bien cela implique que les Yuuzhan Vong sont… une aberration. Qu’ils ne devraient pas être. (Il hésita de nouveau, mais l’implacable logique auquel son entraînement intellectuel l’avait habitué l’obligea à continuer.) A la vie, nous vouons compassion et devoir. Mais je me demande ce que nous devons associer à quelque chose qui dépasse totalement notre conception même de la vie. Quelque chose qui serait presque mort vivant. Je me demande si la seule chose que nous devrions leur associer n’est pas tout simplement la mort elle-même.

— Vous frémissez à cette pensée.

C’était une affirmation, pas une interrogation.

— Tout individu conscient ferait de même, dit Luke. (Il sentit les muscles de sa mâchoire se serrer.) Pourtant, mon devoir envers les Jedi est de ne pas avoir peur de la direction que cela va nous faire prendre. (Il se concentra et essaya de chasser toute tension de son corps.) A mon tour.

— Je vous en prie, dit Vergere en hochant la tête.

Il inspira profondément et s’obligea à poser la question qui, selon lui, pourrait être l’élément clé de leur futur.

— Les Yuuzhan Vong sont-ils, oui ou non, extérieurs à la Force ?

— Je n’ai qu’une vague opinion sur le sujet.

— Peut-être, mais c’est l’opinion d’un Chevalier Jedi qui a l’expérience de la Force et qui a passé cinquante ans chez les Yuuzhan Vong.

— Certes. Et mon opinion est la suivante : par définition, la Force est toute vie et toute vie est la Force. Donc, les Yuuzhan Vong, qui sont des êtres vivants, sont bien inclus dans la Force même si nous ne parvenons pas à les y discerner.

Luke sentit alors les mois de tension accumulés se relâcher à travers tout son être. Le poids énorme qui pesait sur lui s’envola brusquement.

— Merci, murmura-t-il.

Elle le regarda et s’adressa à lui avec une calme intensité.

— Vous devez vouer aux Yuuzhan Vong la même compassion qu’à la vie. Aucune guerre d’extermination n’est justifiée. Vous ne devez pas éradiquer cette profanation du cœur même de l’existence.

— Merci, répéta Luke en inclinant la tête.

— Pourquoi aviez-vous peur de ma réponse ?

— Parce que, si nos ennemis ne faisaient pas partie de la vie, s’ils ne méritaient aucune compassion, alors partir en guerre contre eux signifiait laisser le champ libre au Côté Obscur pour s’abattre non seulement sur moi, mais aussi sur tous les Jedi que j’ai entraînés.

— Si je comprends bien votre position, alors, des traits comme l’agressivité ou la colère doivent être évités, parce qu’ils peuvent conduire à une domination de l’esprit par le Côté Obscur de la Force.

— C’est votre deuxième question ? demanda Luke en regardant Vergere.

— Jeune Maître, répondit-elle, j’ai formulé cette phrase avec attention pour qu’elle ne se présente pas sous forme interrogative. Non. J’essayais tout simplement de clarifier votre position.

— Oui, votre formulation de ma position est on ne peut plus correcte, remarqua Luke en souriant.

— Alors, ma question est la suivante : pensez-vous que la nature nous aurait dotés de traits tels que la colère et l’agressivité si ceux-ci n’avaient pas été d’une quelconque utilité ?

— Ils seraient utiles à quoi ? rétorqua Luke. Ils ne sont utiles qu’au Côté Obscur. Quel usage un Jedi pourrait-il bien faire de la colère et de l’agressivité ? Le Code Jedi est très précis : nous n’agissons pas par passion mais avec sérénité.

Vergere changea de position sur son tabouret.

— Je comprends maintenant, dit-elle. Notre différence réside dans ce que nous considérons, chacun de notre côté, comme l’origine de cette sérénité. Vous croyez que la sérénité est l’absence de passion et moi je crois qu’il s’agit d’une conséquence du savoir, de la connaissance de soi-même, plus qu’autre chose.

— Si la passion ne s’oppose pas à la sérénité, dit Luke, alors pourquoi les a-t-on associées dans le Code Jedi ?

— Parce que les conséquences de ces deux états d’esprit sont opposées. Une passion non contrôlée produit des actions hâtives, mal calculées et souvent destructrices. La sérénité, d’un autre côté, peut entraîner l’absence totale d’action. En revanche, elle peut produire des actions mues par la connaissance, le choix délibéré, voire la sagesse. (Sa bouche esquissa un sourire.) A mon tour.

— Mais je n’ai pas encore posé ma question…

— Ah, pardon, mais vous m’avez interrogée sur le Code Jedi et je vous ai répondu.

— Très bien, soupira Luke. Mais j’ai quand même l’impression de vous dévoiler plus de choses que vous ne le faites.

— Bien au contraire, vous agissez avec sérénité et par la connaissance de vous-même.

— Si vous insistez, dit Luke en souriant.

— Oui, j’insiste. (Vergere passa ses doigts dans ses favoris et réfléchit à sa question suivante.) J’ai pu observer que, lors de votre dernière visite, vous étiez en colère contre moi. Vous pensiez que j’avais délibérément fait du mal à votre apprenti – ce qui est exact –, mais votre colère s’est curieusement apaisée après que je vous ai exposé mes motivations.

— C’est vrai, répondit Luke.

— Alors, voici ma question : la colère est-elle obscure ? Est-ce une passion maléfique qui vous possède, qui vous ronge au point d’en accepter le Côté Obscur comme la seule et unique conséquence ?

Luke évalua ses pensées avec précaution.

— Cela aurait pu être le cas. Si j’avais, par exemple, utilisé cette colère pour vous frapper, vous blesser, particulièrement par le truchement de la Force, alors, oui, cela aurait été une passion obscure.

— Jeune Maître, j’affirme que la colère que vous avez ressentie était naturelle et utile. J’ai délibérément infligé blessures, douleurs, angoisses et souffrances – et ce pendant plusieurs semaines – à un jeune homme dont vous avez la responsabilité et pour lequel vous éprouvez un certain amour. Il est naturel d’avoir éprouvé de la colère. Il est naturel d’avoir voulu briser mon tout petit cou. Il est absolument naturel, lorsque vous découvrez qu’une personne a délibérément causé du tort à une victime sans défense, d’être furieux contre cette personne. Cette émotion est aussi naturelle que d’éprouver de la compassion pour la victime.

Vergere se tut et Luke laissa un silence pesant s’instaurer entre eux. Au bout d’un long moment, la créature ailée inclina la tête.

— Très bien, jeune Maître. Vous aviez raison lorsque vous avez dit que si vous étiez entré dans ma cellule pour me frapper avec la Force, une telle action aurait été dictée par le mal. Mais vous n’en avez rien fait. Au lieu de cela, votre colère vous a poussé à me parler pour découvrir les raisons de mes actes. Donc, pour cela, votre colère n’a pas seulement été naturelle mais également fort utile. Elle vous a permis de comprendre nos rôles respectifs. (Elle marqua une pause.) Je vais vous poser une question purement rhétorique. Vous n’êtes pas obligé de répondre.

— C’est gentil de me prévenir.

— Ma question rhétorique est la suivante : pourquoi votre colère n’était-elle pas maléfique ? Et ma réponse est : parce que vous l’avez comprise. Vous avez compris la cause de votre émotion, donc cette émotion n’a exercé aucun pouvoir sur votre comportement.

Luke réfléchit quelques instants.

— Vous affirmez donc, dit-il, que comprendre une émotion est un moyen d’empêcher cette passion de mal tourner.

— La passion irraisonnée constitue le chemin vers les ténèbres, dit Vergere. Mais une émotion bien perçue n’a rien d’irraisonné. C’est pour cela que la route de la maîtrise de soi passe par la connaissance. (Elle écarquilla ses yeux en amande.) Il est impossible de supprimer les émotions, ce n’est pas souhaitable non plus. Une personne dénuée d’émotions ne vaut guère mieux qu’une machine. Mais comprendre les origines et la nature de ses sentiments, ça, c’est possible.

— Lorsque Dark Vador et l’Empereur m’ont capturé, dit Luke, ils n’ont pas cessé de vouloir m’obliger à laisser ma colère prendre le dessus.

— Votre colère était une réaction naturelle à votre captivité et ils ont voulu s’en servir. Ils ont voulu attiser votre colère, la transformer en une rage brûlante qui vous plongerait dans les ténèbres. Et c’est ce qui se produit avec toute passion irraisonnée. Quand la colère se métamorphose en rage, quand la peur devient terreur, quand l’amour tourne à l’obsession et que l’estime de soi entraîne une vaine assurance, alors toute émotion naturelle et utile devient une compulsion irraisonnée qui conduit aux ténèbres.

— J’ai pourtant laissé le Côté Obscur affluer en moi, dit Luke. J’ai tranché la main de mon père.

— Ah… dit Vergere, hochant la tête. Je comprends mieux, maintenant.

— Lorsque ma rage a pris le contrôle, je me suis senti invincible. Je me suis senti entier. Je me suis senti libre.

Vergere hocha de nouveau la tête.

— Lorsque vous agissez sous le coup d’une pulsion irraisonnée, c’est à ce moment précis que vous avez l’impression de vous sentir vous-même. Mais, en réalité, c’est un moment de totale passivité au cours duquel vous laissez vos émotions vous contrôler.

— A mon tour de vous poser une question, dit Luke.

Mais il fut interrompu par la sonnerie de l’unité de communication.

— Maître Skywalker ? (C’était la voix de Nylykerka.) Une flotte vient de sortir de l’hyperespace et aimerait entrer en contact avec vous.

— A la prochaine fois ? demanda Vergere en battant des paupières.

— A la prochaine fois… dit Luke en se levant.

A l’extérieur de la cellule, Luke retrouva Nylykerka. Celui-ci l’accueillit en s’inclinant respectueusement.

— Maître Skywalker, seize vaisseaux viennent d’arriver. Pour la plupart ce sont des cargos ou des cargos modifiés. Mais il y a un super destroyer avec eux, l'Aventurier Errant. Il y a des messages pour vous, du capitaine Karrde et également de Lando Calrissian, qui commande l’un des appareils.

— Merci.

Nylykerka l’accompagna jusqu’à la console de communication la plus proche.

— J’ai pratiquement épuisé toutes les questions que j’avais à lui poser, dit le Tammarien. J’ai également épuisé toutes les bonnes raisons de la maintenir en captivité.

— Gardez-la encore un peu. Je voudrais m’entretenir avec elle au moins encore une fois, dit Luke. Je ne suis toujours pas convaincu de ses bonnes intentions.

Les poches respiratoires du Tammarien se mirent à battre de façon méditative.

— Alors, pourquoi aurait-elle sauvé la vie de Jacen ?

— Pour avoir accès aux Jedi et peut-être nous détruire de l’intérieur.

Les poches de Nylykerka émirent un sifflement.

— Je comprends que vous vouliez la garder en captivité.

Le problème, songea Luke, est que si Vergere est aussi puissante que je le pense, elle est en mesure de quitter les cellules de Nylykerka quand bon lui semblera.

 

Luke monta à bord du Wild Karrde et se retrouva face à deux rangées de droïdes aux yeux étincelants, à la carrure impressionnante et à la tête allongée, à l’apparence de crâne humain, qui se tenaient au garde-à-vous. Le vaisseau sentait l’huile de machine. Luke les salua à son tour et passa devant eux. Lando se précipita pour le serrer dans ses bras et Talon Karrde lui écrasa joyeusement la main.

— Je vois que tes usines de droïdes ne chôment pas, dit Luke à Lando.

— Tout ce que tu vois ici, répondit Lando en souriant, est à vendre au gouvernement pour un prix très raisonnable.

Luke fronça les sourcils en entendant la remarque désinvolte de son ami.

— Encore faut-il qu’on ait un gouvernement.

Karrde prit un air sérieux et caressa sa barbe.

— Tu ferais bien de nous raconter ce qui se passe à ce sujet, dit-il.

Luke fut conduit à la cabine de Karrde. En chemin, il expliqua à Lando et à Karrde les derniers développements de la situation au Sénat.

— On a toujours entendu certaines rumeurs à propos de Fyor Rodan, dit-il finalement. Des rumeurs comme quoi il aurait quelque chose à voir avec des opérations de contrebande sur la Bordure. Si l’un d’entre vous en sait plus, partager ces informations nous aiderait.

— Comment cela ? Discréditer Rodan en l’associant à nos activités ? demanda Karrde en éclatant de rire.

— Je ne voulais pas te vexer, dit Luke.

— Pas de problème, répondit Karrde. Mais j’ai bien peur de ne pas pouvoir t’aider. Fyor Rodan n’est pas un contrebandier. C’est son frère aîné, Tormak, qui l’est…

— Tormak opérait à partir de Nar Shaddaa pour le compte de Jabba le Hutt, ajouta Lando. Après… heu… l’accident de Jabba, Tormak est devenu indépendant et s’est installé sur la Bordure.

— Son frère et lui ne peuvent pas se supporter, ajouta Karrde. Tormak a toujours trempé dans des trucs louches. Fyor, le petit frère, est devenu le plus vertueux des hommes. Probablement en réaction au comportement de son aîné. Je suppose que cela explique sa sensibilité au sujet des contrebandiers. Pourtant, ajouta-t-il en passant ses doigts dans sa barbiche, je crois que Lando et moi, on peut filer un coup de main à ton candidat.

— Comment ? demanda Luke, sentant d’un seul coup un signal d’alarme retentir dans sa tête.

— Il vaut mieux que tu ne le saches pas, répondit Karrde avec un petit sourire entendu.

— Je ne veux pas qu’on discrédite Cal Omas, enchaîna prestement Luke. Si vous êtes pris la main dans le sac, personne ne voudra croire que Cal Omas n’est pas dans le coup.

Lando posa une main rassurante sur l’épaule de Luke.

— Luke, ne pas se faire prendre la main dans le sac, c’est notre spécialité.

— Il y a un début à tout.

— Ecoute, dit Lando. Nous sommes des hommes d’affaires. Nous essayons de décrocher des contrats auprès des gouvernements. Nous avons des raisons parfaitement légitimes de nous entretenir avec quiconque serait susceptible de nous aider.

— Et nous disposons de seize vaisseaux bourrés de ravitaillement et de matériel, que nous sommes prêts à livrer aux réfugiés de Mon Calamari, ajouta Karrde. Tout ça, avec les compliments de l’Alliance des Contrebandiers. Alors, je peux t’assurer qu’on va être très, très populaires pendant quelque temps et que les politiciens voudront s’afficher à nos côtés.

— Je ne suis pas certain d’apprécier ce que je viens d’entendre, dit Luke.

— Alors, changeons de sujet, rétorqua Karrde doucement. (Il ouvrit un placard, en sortit une boîte de métal qu’il posa sur une table et ouvrit.) Ça te plaît ?

Luke découvrit un petit droïde rectangulaire équipé de roulettes et fit une grimace de dégoût.

— On dirait un droïde souris, dit-il.

Des millions de droïdes souris étaient éparpillés dans toute la galaxie, crissant et couinant, vaquant à d’obscures tâches, errant entre les pieds de milliards de citoyens exaspérés par leur présence. Qu’on puisse modeler un nouveau droïde à partir de cette vermine, cela dépassait l’entendement.

— C’est bien un châssis de droïde souris, dit Lando. On les trouve à des prix très raisonnable. C’est tout juste d’ailleurs si certaines personnes ne nous paient pas pour les en débarrasser. Mais ce droïde souris est équipé de la même batterie de capteurs que nos droïdes chasseurs de Yuuzhan Vong.

— Ah, dit Luke, comprenant soudain.

— Les unités de chasseurs de Yuuzhan Vong peuvent plus facilement détecter nos ennemis qu’ils ne peuvent flairer les humains, dit Karrde. De plus, ils sont agressifs et…

— Et meurtriers, ajouta Lando.

Karrde lui lança un regard vif.

— J’allais plutôt dire « trop voyants ». (Il tapota le dessus du droïde souris.) L’un de nos CYV-S peut repérer un infiltrateur Yuuzhan Vong sans être tenté, comme c’est le cas pour nos chasseurs de série, de le réduire en bouillie. Il peut être programmé pour suivre un infiltrateur, enregistrer ses moindres faits et gestes, photographier le visage de toutes les personnes que l’infiltrateur pourrait rencontrer.

— Qui fait attention à un droïde souris, de nos jours, hein ? ajouta Lando. La plupart des gens font tout leur possible pour les éviter.

— Notre prochain modèle sera équipé de petits répulseurs. Un chasseur Yuuzhan Vong volant. Tu imagines un peu ?

Luke s’était livré à quelques petits calculs mentaux pendant que les deux autres avaient déballé leur argumentaire de représentants de commerce.

— Je pense que vous devriez éviter de parler de vos CYV-S à n’importe qui, dit-il. Il faut que ça reste une surprise, surtout pour les Yuuzhan Vong.

Lando sourit et hocha la tête.

— Et à qui suggères-tu que nous allions parler, en revanche ?

— Dif Scaur et Ayddar Nylykerka, déjà…

— Le chef des Services de Renseignement de la Nouvelle République et son homologue au sein de l’armée ! C’est un bon début.

Luke tendit la main et caressa la douce surface plastifiée du droïde souris.

— J’ai l’impression, dit-il, que cette petite créature va nous être très, très utile.

 

La Supercherie était parquée en orbite autour de Kashyyyk. Des techniciens Wookiee, supervisés par Lowbacca, veillaient à son entretien. Des quartiers de repos avaient été alloués aux membres de l’Escadron des Soleils Jumeaux, ainsi que des zones de garage pour leurs Ailes-X à bord du Starsider, un vieux croiseur Rendili transformé en dépôt et cargo de ravitaillement pour les autres vaisseaux de la Flotte. Jaina trouva sa nouvelle cabine et s’écroula sur la couchette dont le matelas portait encore les odeurs du corps mal lavé de son occupant précédent. Ensuite, elle entreprit de vérifier les messages holographiques qui s’étaient empilés depuis qu’elle était partie en mission sur Obroa-skai. Il y avait bien un message de Jacen. Ses doigts tremblèrent lorsqu’elle pressa le bouton de diffusion de l’enregistrement.

— Salut ! dit Jacen. Revenu d’entre les morts !

Il en avait, en tout cas, l’allure. Il avait dû perdre dix ou douze kilos, portait des cheveux longs et une barbe embroussaillée qui lui donnaient l’apparence d’un ermite rescapé d’une longue errance dans le désert. Il expliqua brièvement qu’il avait été emprisonné par les Yuuzhan Vong et secouru par une Jedi nommée Vergere, une Jedi de l’Ancienne République.

— Je suis désolé de ne pas avoir essayé de te contacter via notre lien habituel, dit-il. Mais j’ai quand même pensé à toi tout le temps. Je savais que les Yuuzhan Vong voulaient que tu viennes me sauver. Ils étaient prêts à t’accueillir. Ils voulaient nous sacrifier tous les deux au cours d’une cérémonie spéciale. Alors, ma plus grande chance de rester en vie, c’était de te tenir aussi éloignée de moi que possible. On vient de me dire que tu avais joué un rôle capital lors d’une grande victoire. (Ses yeux bruns se firent inquisiteurs.) J’espère que ça signifie que tout s’est bien passé pour toi pendant mon absence. Ça a déjà été dur pour toi d’assister à la mort d’Anakin, alors, en plus, me savoir disparu… (Il hésita.) Je sais que tu es assez intelligente pour ne pas te fourrer dans le pétrin, j’espère que tu vas bien et qu’on pourra bientôt se voir. Salue Lowie et les autres. Prends bien soin de toi. Je t’aime.

L’image holographique disparut. Les pensées de Jaina tourbillonnèrent. Apparemment, elle semblait pardonnée pour ne pas avoir essayé, de son côté, de contacter Jacen par ce lien si particulier qui la liait à son frère jumeau. Mais Jacen semblait avoir senti – ou bien on le lui avait raconté – sa brève et intense liaison avec le Côté Obscur, lorsqu’elle s’était abandonnée à la colère, sinistre héritage familial issu du sang de Dark Vador.

Qu’allait-elle raconter à Jacen ? Il avait déjà été bien difficile de se confier à leur mère…

Le message suivant était de Jagged Fel, annonçant qu’il avait rencontré son père et sa mère sur la Route Hydienne et que Leia lui avait annoncé que Jacen avait échappé aux Yuuzhan Vong.

Alors, comme ça, tout le monde était au courant avant moi ? se dit-elle.

— Tu me manques, disait Jagged. J’aurais aimé être avec toi. J’aurais aimé assister à ta réaction en apprenant que ton frère est en vie. J’aimerais t’embrasser pour fêter ça !

Même si elle se sentait plus misérable que jamais à cet instant précis, les paroles de Jagged la réconfortèrent. Le souvenir de ses bras autour d’elle, le goût de ses lèvres sur les siennes soufflèrent dans sa mémoire comme une chaude brise d’été.

Mais ce n’est pas raisonnable, songea-t-elle. Tomber amoureuse au cours d’une période comme celle-ci est de la folie. Surtout quand la mort pouvait frapper à n’importe quel moment. Une autre personne à aimer impliquait probablement une autre personne à pleurer le temps venu… Mais Jacen était de retour. Et peut-être cela signifiait-il que les choses allaient changer.

Son esprit tourbillonna de nouveau. Une chose était claire : la mort finirait bien par venir la chercher à un moment ou à un autre. Et moins il y aurait de personnes pour la pleurer, mieux ce serait.

 

Jaina retrouva Kyp Durron au mess des pilotes. Il était en train de mâcher, sans enthousiasme, une bouchée de steak de iagoin, déshydraté et reconstitué, qui avait dû traîner dans les réserves depuis le règne de l’impératrice Teta.

— Votre Grandeur, dit-il en relevant les yeux, je vous prie d’user de vos divins pouvoirs pour invoquer de la nourriture bien réelle. Nous sommes en orbite à six cents kilomètres d’une des planètes les plus luxuriantes de la Nouvelle République et le mess semble incapable de se procurer de vrais légumes. (Il s’interrompit et la dévisagea.) Il y a quelque chose qui ne va pas ?

— Jacen est vivant, dit Jaina. Il est sur Mon Calamari avec Oncle Luke et Mara.

L’expression de Kyp se détendit.

— Fantastique ! tonna-t-il. Va donc te chercher une assiette de bouillie de baies de salthia réhydratées et nous allons organiser un festin pour célébrer ça !

Jaina se laissa lourdement tomber sur la chaise juste en face de Kyp.

— Qu’est-ce que je vais pouvoir lui raconter de mes activités depuis sa disparition ? demanda-t-elle.

Un éclair traversa le regard de Kyp.

— Ah, je vois. Eh bien… (Il baissa les yeux vers son assiette, repoussa le morceau d’iagoin avec dégoût et releva la tête vers Jaina.) Eh bien, autant lui dire la vérité.

— C’est beaucoup plus compliqué que ça, dit Jaina. Pendant sa captivité, il n’a pas cherché à me contacter par le truchement de la Force, de peur que je vienne à sa rescousse et ne tombe dans un piège. Alors, qu’est-ce que je lui dis ? Que parce qu’il ne m’a pas contactée, j’ai perdu la tête ? Tu imagines l’effet que ça aurait sur lui ?

Kyp écouta attentivement et hocha la tête.

— Je comprends ton inquiétude, dit-il. Mais je crois que Jacen est assez fort pour encaisser le coup. Il l’a toujours été, en fait. De plus, la mort d’Anakin est beaucoup plus responsable de ta glissade vers le Côté Obscur que la capture de Jacen.

— Oui, peut-être. Mais il est difficile de savoir comment il va réagir. Et si ça le précipitait vers… vers une spirale de… enfin vers quelque chose qui le paralyserait à nouveau ?

— Tu as bien vu l’hologramme ? demanda Kyp. Il n’avait pas l’air si paralysé que ça.

Jaina ne put s’empêcher de sourire.

— Non, effectivement. Il avait l’air d’en avoir vu de toutes les couleurs mais paraissait en forme. Je pense que son inquiétude à mon sujet était justifiée.

Kyp hocha solennellement la tête.

— Alors je pense que, quand tu le verras, tu sauras quoi lui dire.

— J’espère bien, dit Jaina en regardant ses mains.

— Bon, il y a autre chose qui t’empêche de faire la fête ? demanda Kyp chaleureusement.

Jaina sourit de nouveau, mais brièvement.

— L’Amiral Kre’fey, dit-elle. Les Bothan et lui ont perdu la raison. Ils ont décidé d’éliminer tous les Yuuzhan Vong jusqu’à la dernière cellule. Nous voilà nantis d’un commandeur qui a juré d’exterminer une espèce tout entière. (Elle releva les yeux vers lui.) Si ce n’est pas une invitation du Côté Obscur…

— Même moi, je ne suis jamais allé si loin, répondit Kyp, visiblement impressionné. (Il se pencha vers Jaina par-dessus la table.) Je pense que le Côté Obscur ne peut prendre le dessus que lorsque tu ressens certaines émotions. Dans mon cas, c’était de la colère. Dans le tien, c’était un désir de vengeance.

— Oui : venger un frère qui, finalement, n’était pas mort, ajouta Jaina avec amertume.

— Et venger un frère qui, lui, l’était. Ce n’était pas la meilleure chose à faire et nous sommes tous deux d’accord. Mais je pense qu’il faudrait qu’on essaie d’abord de faire quelques distinctions.

— Entendu, dit Jaina.

Mais, d’un seul coup, elle se sentit extrêmement réservée quant aux distinctions possibles entre ce qui appartenait à la lumière et ce qui relevait des ténèbres.

— Bon, il y a l’agression pure. Ça, c’est mal.

— Oui.

— Il y a la guerre défensive, à savoir : se battre contre des envahisseurs au nom d’un monde, d’un peuple ou d’un gouvernement. Ce qui, même si ce n’est pas nécessairement bien, est au moins justifiable.

— Jusque-là, je te suis, dit Jaina en hochant la tête.

— Et puis, bien entendu, il y a la contre-attaque en cas de guerre défensive. C’est ce qui s’est passé à Obroa-skai.

— Et ça, c’est quoi ? demanda Jaina. Bien ? Mal ? Justifiable ?

— C’est justifié, la corrigea Kyp. J’y ai longuement réfléchi et je pense que c’est justifié. (Il aperçut alors le regard dubitatif de son interlocutrice.) Laisse-moi te faire une analogie, tu veux ?

— Vas-y.

— Disons que tu as un ami qui possède quelque chose de grande valeur. Une bague, par exemple. Un voleur attaque ton ami et lui vole sa bague. Pour une raison ou pour une autre, tu ne peux pas empêcher que cela se produise.

— Continue.

— Plus tard, tu retrouves le voleur et tu vois qu’il porte la bague. Alors, est-ce un acte d’agression que de livrer le voleur à la justice et de rendre la bague à son propriétaire légitime ?

— Si je te comprends bien, dit Jaina. Le voleur, c’est les Yuuzhan Vong, qui nous ont volé nos planètes, et donc, ce n’est pas un acte d’agression que de vouloir récupérer nos planètes et nous débarrasser des Yuuzhan Vong, c’est ça ?

— Je ne dis pas qu’il n’y a pas un certain degré d’agression dans tout cela, je te dis que c’est justifié.

— Mais imaginons que ce degré d’agression ouvre la voie aux ténèbres ?

— Alors, non, ce n’est plus justifié, dit Kyp. (Il soupira.) Ecoute, tu peux très bien courir après le voleur parce que tu lui en veux et que tu souhaites lui administrer, toi-même, une bonne correction. Ou tu peux te lancer à ses trousses parce que tu veux que justice soit faite. Il y a une différence. La colère, c’est les ténèbres. L’amour de la justice, c’est la lumière.

— Mais la justice parfaite est impossible, le contra Jaina.

— La justice parfaite n’est pas le propos. Tu mets la barre beaucoup trop haut. Nous n’avons pas prêté le serment d’être parfaits ! (Il réfléchit quelques instants.) Quand Luke a affronté Dark Vador et que l’Empereur le pressait d’utiliser sa colère pour frapper, combattre Dark Vador n’était pas une mauvaise chose en soi ! C’était le combattre sous le coup de la colère qui l’aurait été !

Jaina releva les yeux vers Kyp et l’étudia un long moment.

— Sans vouloir te vexer, Kyp, j’aurais préféré que ce soit mon oncle Luke qui m’avance cet argument, pas le plus grand expert du Côté Obscur de la Force que je connaisse.

— Moi aussi, Jaina, moi aussi… répondit Kyp en regardant Jaina avec tristesse.

 

Lorsque Winter ouvrit la porte, il y eut un léger sifflement correspondant à un équilibrage de pression. Voyant Luke, Mara et Jacen, elle s’écarta du pas de la porte pour les laisser entrer.

— Je vous en prie, leur dit-elle.

L’appartement de l’Amiral Ackbar se trouvait bien au-dessous du niveau de la mer, dans la cité flottante d’Heurkea. Les senteurs de l’océan parfumaient l’air ambiant. Les pièces étaient sphériques, faiblement éclairées et résonnaient de la mélodie de multiples petites fontaines et cascades. Toutes les salles étaient dotées de profondes piscines d’eau de mer, reliées par des tunnels immergés ou bien par des canaux qu’enjambaient les arches de petits ponts. Les murs et les plafonds étincelaient d’une lumière dorée reflétée par les ondoiements de l’eau. Les sols étaient pavés de carreaux de couleurs qui rappelaient celles de la mer : vert, bleu, turquoise, aigue-marine.

La porte siffla en se refermant derrière eux. Winter portait une longue robe blanche et un collier de jade aux teintes émeraudes. Elle accueillit Luke et Mara en les serrant dans ses bras, puis embrassa Jacen sur les deux joues.

— Comment va l’amiral ? demanda Luke.

Il avait sciemment veillé à parler à voix basse, de peur que ces cavernes artificielles ne fassent résonner ses paroles à travers l’appartement.

— Son corps l’abandonne, répondit Winter.

Sa voix calme avait adopté un ton relativement neutre, mais Luke aperçut que les petites rides qui partaient en étoiles des yeux de Winter étaient des lignes de tristesse.

— Il y a quelque chose à faire ? demanda Mara.

— Comme il vous l’a expliqué la dernière fois, il n’y a pas de problème à proprement parler, dit Winter. Le souci, c’est son grand âge, et puis le fait qu’il s’est usé à la tâche pendant la Rébellion. Même à l’époque, ce n’était pas un jeune homme, vous savez…

— Je comprends, dit Luke. Je dois avouer que, en ce temps-là, je ne m’étais même pas demandé quel âge il pouvait bien avoir. Il paraissait assez jeune… Aussi jeune qu’il avait besoin de l’être, je suppose.

— Vous verrez, son esprit est aussi aiguisé que jadis, dit Winter. Il est toujours capable de travailler dix heures d’affilées, pour peu qu’il fasse attention à son corps pendant tout ce temps.

— Travailler ? demanda Mara. Mais à quoi ?

— Je laisse à Ackbar le soin de vous expliquer tout ça.

Luke, Mara et Jacen suivirent la grande femme aux cheveux blancs sur un petit pont, puis ils franchirent un gué, en fait le sommet de hautes colonnes immergées dans un bassin aux eaux très calmes. Ils débouchèrent dans une salle d’étude, au mobilier d’allure très confortable et percée en son centre d’une piscine. Ackbar, baignant dans l’eau, les y attendait et il leur fit signe avec l’une de ses grosses mains.

— Luke ! appela-t-il. Mara ! Le jeune Jacen ! Soyez les bienvenus dans ma maison.

Sa voix ne présentait plus aucun signe de cette diction gargouillante que Luke avait entendue dans le bureau de l’Amiral Sovv. Elle parut aussi vigoureuse que du temps où Ackbar donnait des ordres sur le pont de son vaisseau étendard.

— Merci, Amiral, dit Luke.

— Je vous en prie, asseyez-vous. Pardonnez-moi si je ne me joins pas à vous. Ces derniers temps, je suis bien plus à l’aise lorsque je reste dans l’eau.

— Vous avez une bien jolie maison, commenta Mara.

— Elle me convient, se contenta de répondre Ackbar.

Winter, toujours aussi efficace, servit des rafraîchissements pendant qu’Ackbar et ses invités se mettaient à discuter. C’est alors que l’amiral se laissa flotter jusqu’à Jacen et releva ses grands yeux globuleux vers lui.

— Peux-tu me parler des Yuuzhan Vong, jeune Jacen ?

— Je le veux bien, répondit le jeune homme, mais c’est un vaste sujet.

— Tu es la seule personne que je connaisse qui ait été aussi longtemps exposée à nos ennemis. Dis-moi tout ce que tu sais.

Jacen parla pendant un très long moment des Yuuzhan Vong et de leurs castes, de leur hiérarchie, de leur religion, de la façon dont ils se comportaient entre eux et comment ils traitaient leurs prisonniers. Il n’aborda son expérience personnelle que très évasivement. Luke fut surpris et impressionné que Jacen – blessé, asservi, isolé – ait pu observer ses geôliers avec autant d’attention et livre un exposé aussi détaillé.

Winter écoutait en silence. Au bout d’un moment, elle alla s’asseoir au bord du bassin, releva le bas de sa robe et plongea ses pieds dans l’eau. Ackbar flotta jusqu’à elle. Winter posa alors une main affectueuse sur l’épaule squameuse de l’amiral. Luke les observa et repensa aux nombreuses tragédies qui hantaient encore les souvenirs de Winter. La femme aux cheveux blancs était douée d’une mémoire holographique, capable d’enregistrer sa vie dans les moindres détails. La peine qu’elle avait dû ressentir lors de la destruction de sa planète natale d’Alderaan, la disparition de sa famille et de ses amis, était aussi fraîche dans sa tête que vingt-sept ans auparavant, lors du drame. Les batailles de la Rébellion, le combat contre Furgan et Joruus C’baoth, l’enlèvement du petit Anakin Solo… Winter pouvait revivre chaque événement avec la même intensité, comme s’il s’agissait de la première fois. Pareillement, les années passées en compagnie de Jacen, quand il était enfant, étaient aussi vivantes que le fait d’être assise à côté du jeune homme à présent qu’il avait atteint l’âge adulte.

L’esprit de Winter était un hologramme. Luke comprit qu’il contenait en fait le schéma complet de la vie. Naissance, mort, joie, tragédie, violence, triomphe, désespoir. Envisagé sous cet angle, il n’était guère surprenant que Winter ait décidé de tenir compagnie à Ackbar pendant sa retraite. Son cerveau contenait bien plus d’expériences pénibles que quiconque et elle avait besoin de souvenirs paisibles pour compenser ceux qui étaient moins sereins. Mais Ackbar était sur le déclin. Et Winter était condamnée à vivre des instants pénibles, à se constituer une série de souvenirs désagréables qu’elle ne pourrait jamais oublier.

Ackbar écouta le récit de Jacen. Ensuite, Winter et lui se lancèrent dans un tourbillon de questions. L’amiral poussa un long soupir et se laissa flotter avec satisfaction à la surface de l’eau.

— Très bien, dit-il. Maintenant, je sais comment les combattre.

Luke lança à l’amiral un regard surpris.

— Alors, c’est à cela que vous avez travaillé ?

— Oh, que oui ! (Ackbar releva les yeux vers Winter et posa amicalement la main sur son genou.) Winter est ma mémoire, c’est une collaboratrice inestimable. J’ai donc pu travailler intensivement à un plan stratégique pour cette guerre. Jacen vient juste de confirmer les soupçons que je nourrissais à propos du comportement des Yuuzhan Vong. Je pense que nous pouvons désormais envisager la victoire.

— Avez-vous l’intention de sortir de votre retraite ? demanda Luke.

Ackbar gargouilla un soupir aquatique.

— Je ne sais pas si c’est possible. L’Amiral Sovv voudrait que je lui serve de conseiller à ce propos. Mais écoute-t-on encore ce pauvre Amiral Sovv ?

— On vous écoutera, vous, dit Luke. Je n’imagine personne ne vous écoutant pas.

— Borsk Fey’lya ne m’a jamais écouté, dit Ackbar. Et Borsk Fey’lya avait beaucoup d’amis. (Il secoua sa grosse tête.) Mon Mothma me manque beaucoup. Avec elle, au moins, on se comprenait. Nos talents étaient totalement complémentaires. Elle et moi, nous formions la parfaite équipe. Elle était le grand orateur, la politicienne, et moi, j’étais son sabre. Elle était capable de deviner les pièges que je ne discernais pas. Et moi, je voyais les dangers dont elle n’avait pas conscience. Sa sagesse a permis de mettre un terme à la Rébellion et de créer la Nouvelle République. Avec mes flottes, j’ai contribué à la défaite de l’Empire. (Il secoua de nouveau la tête.) J’ai pris de mauvaises habitudes ! Elle comprenait mes méthodes et je comprenais les siennes. Depuis sa mort, il a fallu que je me heurte à des tas d’autres personnes qui n’étaient pas aussi compréhensives. Je n’ai pas reçu le don de patience. Je n’en avais jamais eu besoin auparavant ! (Il soupira et, pour la première fois, ses mots s’étranglèrent dans sa gorge, comme lors de leur précédente rencontre.) Mon Mothma. Je n’aurais probablement pas dû lui survivre.

— Ne dites pas cela, lui lança Winter, préoccupée.

— Non, non, dit Luke. Vous avez encore beaucoup de choses à nous apporter. Votre plan en est la preuve parfaite.

— Mais qui acceptera un tel plan ? soupira Ackbar. Il nécessite non seulement la collaboration de l’armée mais également celle des personnages les plus élevés du gouvernement. Et notre gouvernement ne dispose d’aucun personnage assez élevé !

Ackbar était visiblement épuisé. Les visiteurs décidèrent de ne pas abuser plus longtemps de son hospitalité. Winter, qui les raccompagnait, s’arrêta devant la porte et posa une main sur l’épaule de Jacen.

— Je suis désolée à propos d’Anakin, dit-elle.

— Il t’avait voué une reconnaissance éternelle, dit Jacen, hochant doucement la tête. Il savait combien tu t’étais battue pour lui sur Anoth. (Il prit les mains de Winter dans les siennes.) Sans toi, il n’aurait jamais pu goûter aux quatorze dernières années de sa vie. Et Anakin n’était pas le seul à éprouver de la gratitude. Il y a Jaina, il y a moi, et tous ceux qui le connaissaient…

Il embrassa les mains de Winter et les laissa retomber doucement. Mara et Luke firent leurs adieux à Winter et quittèrent l’appartement. Peut-être, songea Luke, que la mémoire holographique de Winter n’est pas uniquement une source de tracas. Elle se souviendra d’Anakin, d’abord bébé, puis petit garçon. Ces souvenirs éclatants, gravés à jamais dans sa mémoire, l’emporteront peut-être sur le fait de savoir, sans connaître les détails exacts, qu’il est mort. Ainsi, le souvenir d’Anakin sera parfaitement conservé. Un Anakin bien vivant, plein de vie, éloigné de toute cette tragédie qui a mis un terme à son existence. Cette pensée réconforta Luke.

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